Communiqué
Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu
« Que faire quand votre monde commence à s’effondrer ? Moi, je pars me promener et, si j’ai vraiment de la chance, je trouve des champignons. » (1)
Réalisée immédiatement après le premier confinement, Over the Air and Underground, l’installation vidéo d’Angelica Mesiti qui rassemble dans une ronde sombre et fluorescente des fleurs à différents stades de décomposition, ne peut pas ne pas résonner tant avec nos peurs qu’avec nos ravissements récents – celles et ceux que la pandémie a rendu manifestes.(2) Les associations que convoque la pièce sont multiples, et c’est justement cette navigation qui m’intéresse : elle permet de faire le point sur ce qui nous arrive, sur les liens qui se tissent malgré et peut-être grâce au virus, sur les faiblesses qui sont aussi des forces. Les filaments lumineux qui recouvrent, dans les vidéos, les fleurs éclairées aux rayons ultraviolets incarnent bien ces liens à reconstruire et leur intensité brillante en dit long sur l’importance – voir l’urgence - d’un tel projet.
Angelica Mesiti choisit de produire des formes en exploitant les circonstances et en décidant que ces dernières n’auront pas le dernier mot. C’est d’ailleurs en évoquant ses promenades durant le premier confinement qu’elle aborde la description de cette nouvelle pièce qui arrive donc dans la foulée de ces moments de solitude durant lesquels la ville, puisque c’est à Paris qu’Angelica a vécu le confinement, a offert à nos regards un peu hébétés le seul décor possible dans lequel seule la nature semblait réussir à se maintenir à flot. Comme elle, j’ai le souvenir d’avoir contemplé comme jamais les plantes se débrouiller entre les caniveaux et les fissures dans les murs et lorsque je regarde aujourd’hui sa pièce je comprends son envie d’évoquer les communications secrètes entre les plantes comme des formes de résistance à nos temps suspendus et empêchés.
Si l’on décidait d’associer la prose d’Annie Dillard à l’ouvrage essentiel que l’anthropologue américaine Anna Tsing publie en 2017 on s’approcherait en partie de l’effet que produit l’installation d’Angelica Mesiti. Car en consacrant ses réflexions aux champignons, Anna Tsing concentre ses efforts sur la nécessité de penser notre monde depuis les effets de la précarité et de la décomposition. Elle décrit génialement comment la notion de progrès a perdu tout « intérêt discursif », nous obligeant ainsi à revoir nos catégories de pensée et plus encore nos relations, nos liens et les échos qui nous unissent au monde vivant. En pensant depuis nos vulnérabilités, Anna Tsing autorise du même coup à voir dans une série de fleurs en plein dépérissement, tournant sur elles-mêmes, l’image d’un monde que nous partageons sans aucun doute.
Que les phénomènes d’extinction puissent être célébrés davantage que subis – c’est ce qu’un texte récent du poète et chercheur Romain Noël m’a permis de comprendre. Que les zones sombres de nos environnements puissent servir de tremplin à des exigences nouvelles et collectives où les fredonnements seront davantage audibles, où les filaments lumineux ne seront finalement pas si fragiles que ça, c’est ce que la pièce d’Angelica nous aide à son tour à penser. Les abeilles ne voient-elles pas le monde à travers les tonalités de l’ultraviolet – raison pour laquelle l’artiste a choisi de mener l’expérience selon cette grille chromatique ? Guy Debord n’a-t-il pas intitulé son film le plus connu « Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu » ? De la précarité dont Anna Tsing fait le point de départ pour simplement décrire nos mondes aux extases fantastiques qui permettent de rêver l’obscur et qui traversent la littérature récente(5), nous sommes de mieux en mieux armées pour dire : « Il n’y a pas de nature morte ». En hommage aux bruissements à venir, « Ce qui apparaît alors, à l’heure de l’Anthropocène, c’est le désir croissant de rejoindre une zone située par-delà les oppositions binaires qui constituent le monde tel qu’on nous l’a légué. Une zone située par-delà ou en deçà de ces oppositions, ou peut-être entre les termes qui les composent. Il s’agit bien sûr de l’opposition entre nature et culture, mais aussi de l’opposition entre sujet et objet, entre humain et non-humain, entre dedans et dehors et, de fil en aiguille, entre toutes les oppositions du monde. À travers nos yeux mouillés de larmes, une zone interstitielle nous apparaît. Et on se prend à penser qu’il y ferait bon vivre.» (6)
— Clara Schulmann
1. Anna Lauwenhaupt Tsing, Le champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme (2015), La découverte, Paris, 2017, p.31
2. L’installation Over the Air and Underground consiste en 5 écrans montrant chacun des fleurs en rotation sur elles-mêmes. Saisies à différents stades de décomposition, elles sont recouvertes de fines couches de mycéliums et ont été filmées en utilisant uniquement un éclairage ultraviolet. Au son, on entend 10 voix humaines à travers 10 enceintes qui forment un chœur de voix fredonnantes. L’installation est une boucle et les voix des chanteurs, non professionnels, démarrent doucement avant de connaître un crescendo et de redescendre. La fréquence (220 Herz) choisie pour rendre ces voix est calquée sur les données des scientifiques qui estiment que c’est celle utilisée par les racines des arbres lorsque ceux-ci communiquent entre eux.
3. Annie Dillard, Pèlerinage à Tinker Creek (1974), Christian Bourgois, Paris, 2010, p.196.
4. « Tupi amazonien : origine de la nuit » raconté par Claude Lévi-Strauss in Du miel au cendres : introduction à une science de la mythologie, Plon, Paris, 1967, p.358.
5. Je renvoie ici au recueil de textes de Carmen Maria Machado publié en français sous le titre Son corps et autres célébrations (2017), Editions de l’Olivier, 2019.
6. Romain Noël, « BDSM Apocalypse. Organiser l’apocalypse. Décrire la vie qu’on veut. Se battre pour cette vie » (2018), mis en ligne sur le site du magazine lundi matin le 22 mars 2021 : https://lundi.am/BDSM-Apocalypse
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Galaxy Noir (turning), 2021
Granite Galaxy Noir, gravure, peinture émaillée
60 x 2 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Galaxy Noir (speaker), 2021
Granite Galaxy Noir, gravure, peinture émaillée
60 x 2 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Fluoresce 1, 2021
Impression jet d'encre pigmentée sur papier Awagami Kozo
124 x 70 cm
Encadrement : 126.5 x 72.5 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Fluoresce 2, 2021
Impression jet d'encre pigmentée sur papier Awagami Kozo
124 x 70 cm
Encadrement : 126.5 x 72.5 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris