Daniel Turner

Réinjecter du sens

Robert Bresson écrit dans ses Notes sur le cinématographe qu'il n'est « pas d'art sans transformation ». Ce credo, Daniel Turner pourrait le faire sien tant ses travaux relèvent depuis de nombreuses années d'opérations de transmutation, déplacement, dislocation et dissolution, pour mentionner certaines d'entre elles extraites d'un large éventail de gestes et de rites, qui confèrent à son propos un haut coefficient en matière de conversions. La plupart des objets renégociés par ses soins témoignent d'une histoire. De leur histoire assujettie à un processus se traduisant selon les cas par une transfiguration complexe ou se résumant à une simple décontextualisation. Mais aussi et surtout de celle de l'artiste l'encourageant à récupérer des éléments de mobilier qui renvoient d'une façon ou d'une autre à des chapitres de son existence. Les récupérer est pour lui un moyen d'en conserver une trace mnémonique, tout en leur conférant une présence inédite. Passé et présent sont incessamment télescopés. Ces temporalités ne sont en effet jamais figées, l'artiste cherchant par le biais de ses métamorphoses plus ou moins prononcées d'objets ou de ses interventions in situ à les enchevêtrer. Le fait que nombre de ces artéfacts sont représentatifs d'un univers standardisé, industriel, ready-made, froid pour ne pas dire clinique, à première vue détaché de tout affect et ne laissant à aucun moment transparaître leur résonance autobiographique les rend encore plus insaisissables. Il en est ainsi des deux panneaux de bois imprégnés d'une laine d'acier inoxydable appliquée à l'aide d'un polissage à la main. Aussi évanescentes qu'informelles, les subtiles traces de couleurs composant des masses floutées aux contours erratiques ne disent rien de la généalogie de la matière reconvertie, la laine en question ayant été produite à partir de chaises glanées auprès d'un établissement psychiatrique américain. Une manière de réinjecter non sans pudeur du sens dans des matériaux qu'on ne soupçonnerait pas d'être investis d'une telle énergie.

- Erik Verhagen